La pauvreté de l’âme par Yasmin Mogahed
« Aujourd’hui je vais vous parler de la pauvreté. Mais vous le saviez surement déjà.
La pauvreté dont je vais parler aujourd’hui n’est pas la pauvreté apparente.
Mais avant que nous puissions commencer à parler d’un concept, nous avons besoins de critères, de définitions.
Quand nous parlons de pauvreté, nous devons comprendre qu’il existe la pauvreté externe ainsi que la pauvreté interne. Et l’une est bien plus dangereuse que l’autre, parce que tandis qu’une forme de pauvreté détermine comment nous vivons temporairement, l’autre forme détermine comment nous vivrons éternellement.
Aujourd’hui je vais vous parler de la dernière forme. La pauvreté intérieure : la pauvreté de l’âme.
Elle décrit l’âme impassible. L’âme qui a été créée, mais manque encore de réaliser pourquoi. C’est l’âme qui mène une vie sans but. Le cœur qui bat, mais est déjà mort. Puisque pendant que le corps pleure, saigne et ressent la douleur liée au monde matériel, l’âme n’est pas atteinte par ces choses.
Il n’y a qu’une seule chose qui peut couper, poignarder ou appauvrir l’âme. Une seule et unique chose peut la tuer, la priver de son seul vrai besoin : être proche de son Créateur. Être proche de Dieu.
La privation spirituelle est le véritable appauvrissement. Nous pouvons le voir, par exemple, à travers un hadith prophétique rapporté par l’Imam Muslim.
Un jour, le Prophète Mohammad (ﷺ) a demandé à ses compagnons
: «Savez-vous qui est l’homme pauvre ? ». Les compagnons répondirent :
«Le pauvre est celui qui ne possède ni argent ni bien».
Le Prophète (ﷺ) déclara alors : «Le pauvre de ma communauté est celui qui viendra le jour de la résurrection en présentant sa prière, son jeûne et son aumône légale ;
mais qui aura néanmoins insulté telle personne, calomnié telle autre, usurpé les biens d’autrui, répandu le sang d’untel et frappé tel autre ; alors ses bonnes actions seront réparties entre ses victimes et si celles-ci s’avèrent insuffisantes pour acquitter sa dette, les péchés et les fautes de ses victimes lui seront alors attribués et ,ensuite, il sera jeté en enfer».
Dans ce hadith le Prophète (ﷺ) explique que la vraie pauvreté n’est pas le manque de richesse dans cette vie. La vraie pauvreté c’est de se trouver pauvre au jour du jugement. En dépit de cette réalité, nous continuons à vivre cette vie en nourrissant nos corps, mais en affamant nos âmes. La triste ironie de cette situation est que le corps dont nous nous occupons n’est que temporaire, alors que l’âme que nous négligeons est éternelle.
Quand un corps meurt nous pleurons, mais la mort du corps n’est pas la vraie mort. C’est seulement le fait de quitter une coquille et d’effectuer
le mouvement d’un royaume à un autre, un royaume plus réel. Nous pleurons quand un corps s’en va mais nos cœurs sont insensibles à ces corps qui sont encore en vie, mais dont le cœur et l’âme sont morts à cause de l’abandon de ce qui leur donne la vie : Dieu.
Qu’est-ce qui appauvrit et tue le cœur ? C’est le fait d’autoriser le cœur à aimer quelque chose d’un amour que seul Dieu mérite. Le cœur a été créé avec un caractère spécifique et dans un but précis. Lorsqu’une chose créée n’est pas utilisée dans le but pour lequel elle a été créée, elle se casse, elle se noie, elle est affamée, elle meurt.
Le cœur a été créé par Dieu et pour Dieu. Le cœur a été créé pour connaître et aimer Dieu. Le cœur a été créé pour s’abandonner à Dieu. Pour être rempli de Dieu.
Le coeur qui s’abandonne ou qui se rempli par tout autre chose, souffre de l’appauvrissement le plus douloureux et de la mort. Le cœur humain est comme un bateau dans l’océan de la vie d’ici-bas. Le bateau qui permet à l’eau de l’océan d’entrer se brise puis coule.
Le cœur humain qui permet à la vie d’ici-bas d’entrer se brise et coule. Et il devient prisonnier.
Possédé par cette vie. Possédé par nos gadgets, notre facebook, nos emplois, les distractions, les tendances de la mode, les outils de marketing, l’argent, le pouvoir, le statut,…
Le cœur qui est détenu par cette vie est un prisonnier de la pire espèce.
Le cœur qui est détenu par un autre maître que le Maître des maîtres, est le plus faible de tous les esclaves. Là est la véritable oppression. La vraie mort. La vraie pauvreté.
En tant qu’êtres humains, nous sommes asservis à différentes choses.
Certains d’entre nous ici sont asservis par l’argent.
Certains d’entre nous avons asservi nos cœurs à d’autres personnes. Nous les aimons comme nous ne devrions aimer qu’Allah.
Certains d’entre nous sont asservis au statut ou à notre carrière.
Posez-vous la question : qu’est-ce que vous aimez le plus? La plupart d’entre nous dans cette salle diront qu’ils aiment Dieu plus que tout.
Nous disons cela avec nos langues. Nous disons cela dans nos esprits.
Mais nos cœurs, nos actions disent le contraire.
Comment le savez-vous ? Demandez-vous : Quel est votre refuge ? Lorsque vous êtes le plus brisé, où allez-vous? Quand vous avez peur, où vous cachez-vous ? Lorsque vous êtes dans le besoin, à qui demandez-vous ? Qu’est ce qui vous fait le plus peur ? Pour quel raison restez-vous éveillés la nuit inquiets? Qui, qu’est-ce qui vous fait le plus pleurer ?
A quoi pensez-vous le plus? Qu’est-ce qui occupe votre esprit durant la Salat ? Est-ce vraiment Dieu ? Est-ce vraiment Allah qui est le plus présent dans votre esprit ? Est-ce vraiment votre peur de vous tenir devant Lui qui vous fait pleurer dans votre lit ? Non, probablement pas.
C’est la personne qui vous a quitté(e), l’argent que vous avez perdu, la carrière que vous ne pouvez avoir, l’augmentation que vous n’avez pas eue.
Qu’est-ce qui vous fait le plus peur ? La seule pensée de perdre quelque chose qui vous angoisse au point de le ressentir physiquement. Est ce votre mari, votre femme, votre argent, votre travail ?
Est-ce votre image ? Votre chiffre d’affaire ? Qu’est-ce que c’est ?
Quand on vous expose à un choix que faites-vous? Quand Allah vous dicte de quelle manière vous habiller et quelle voie suivre et que la société prône l’opposé, que choisissez-vous? Qui est le symbole de la beauté pour vous, le symbole du succès ?
Quand Allah dit que l’intérêt est illicite, mais que vos ambitions financières vous poussent à tout autre chose ; quand la norme de la société qui définit la grandeur de votre maison ou encore la marque de votre voiture vous oriente autrement, que choisissez-vous?
Qui définit la richesse? Qui définit la pauvreté ? De quel type de pauvreté avez-vous le plus peur ? La vérité est que nous choisissons ce que nous aimons le plus.
Quand nous aimons davantage l’argent, c’est l’argent que nous choisissons.
Quand nous aimons davantage les gens, ils remplissent notre cœur et c’est à eux que nous pensons le plus. Notre vie perd le nord, nous quittons l’orbite de notre Créateur et entrons dans l’orbite de la création, orbite douloureuse et instable.
Dans l’orbite de la création nous montons et tombons selon les vagues de la création, les vagues de louanges et de critiques.
Nos normes pour le succès et l’échec viennent de la création, de la société. La norme pour la richesse, pour la pauvreté vient de la création, de la société.
Mais la norme qui nous a été donnée par le messager d’Allah (ﷺ) est différente. Le prophète Muhammad (ﷺ) nous a dit : «La richesse n’est pas dans l’abondance des signes extérieurs, mais la richesse est la richesse de l’âme.» (Sahih Bukhari)
Mais comment évitons-nous le réel appauvrissement de l’âme?
Personne n’aime tomber. Et peu de personnes choisiraient de se noyer. Mais il est parfois difficile, dans cette lutte face à l’océan de cette vie, de ne pas se laisser envahir.
Parfois l’océan nous submerge. La vie d’ici-bas pénètre dans nos cœurs. Et telle l’eau qui renverse un bateau, quand elle entre, elle nous brise le cœur. Elle brise le bateau.
Si tu autorises cette vie-là à posséder ton cœur, tel l’océan qui engloutit le bateau, elle prendra le dessus sur toi. Tu couleras dans les profondeurs de la mer. Tu toucheras le fond. Et tu auras l’impression d’être au plus bas.
Pris au piège par tes péchés et ton amour de cette vie, tu te sentiras détruit, cerné par l’obscurité. C’est ce qui est stupéfiant avec le fond de l’océan. Aucune lumière ne l’atteint.
Mais cet endroit obscur ne représente pas une fin. Souviens-toi que l’obscurité de la nuit précède l’aube. Et aussi longtemps que ton cœur battra, c’est qu’il n’est pas mort. Tu n’as pas à mourir ici.
Parfois, le fond de l’océan est juste une pause durant ton voyage. Et c’est lorsque tu es au plus bas que tu es confronté à un choix. Tu peux rester ici dans ces profondeurs, jusqu’à ce que tu te noies. Ou tu peux rassembler des perles et remonter plus fort, grâce à la nage,
et plus riche, grâce aux bijoux récoltés.
Si tu Le recherches, Dieu peut t’élever, et remplacer l’obscurité de l’océan par la lumière de Son soleil.
Il peut transformer ce qui était un jour ta plus grande faiblesse en ta plus grande force, et être ainsi une source de maturité, de purification et de rédemption. Sache que le changement commence parfois par une chute. Alors ne la maudit jamais. C’est au sol que se trouve l’humilité.
Prends-la. Apprends-la. Respire-la. Et ensuite, reviens plus fort, plus humble et plus attentif à ton besoin de Lui. Reviens en ayant vu ta propre insignifiance et Sa Grandeur. Saches que si tu as compris cette réalité, tu as tout compris.
Et pour celui qui est vraiment déçu, c’est qu’il ne regarde que lui-même, mais pas Lui. Dépouillé est celui qui n’a jamais reconnu son besoin désespéré pour Dieu. Confiant dans ses propres moyens de subsistance, il en oublie que ses mêmes moyens, sa propre âme et tout ce qui existe sont Sa création.
Recherche Dieu pour te remonter à la surface, car lorsqu’Il l’aura fait, Il reconstruira ton bateau. Le cœur que tu pensais à jamais endommagé sera réparé. Ce qui était brisé en mille morceaux reviendra entier.
Sache que Lui Seul est capable de cela. Alors recherche-Le. Et quand Il t’aura sauvé(e), supplie-Le de te pardonner d’être tombé, aies des regrets mais ne désespères pas!
Comme Ibn Al Qayyim (qu’Allah lui fasse miséricorde) disait: «Satan s’est réjoui lorsque Adam (paix sur lui) sortit du Paradis, mais il ne savait pas que lorsqu’un plongeur tombe en mer, il récolte des perles et remonte à la surface».
Il y a quelque chose de puissant et de surprenant dans le repentir et le fait de revenir vers Allah (Glorifié et Exalté soit-Il). On nous dit que cela polit les cœurs. Ce qui est incroyable avec celui qui polit, c’est qu’il ne se contente pas de nettoyer. Il rend l’objet poli bien plus brillant qu’il ne l’était avant qu’il ne devienne sale.
Si tu reviens à Allah, recherche Son pardon, et focalise de nouveau ta vie et ton cœur sur Lui, tu as le potentiel d’être plus riche encore que si tu n’étais jamais tombé.
Parfois, tomber et revenir à la surface te permet d’acquérir la sagesse et l’humilité que tu n’aurais jamais pu acquérir autrement.
Ibn Al Qayyim (qu’Allah lui fasse miséricorde) écrivait: «Un des « salafs » (pieux prédécesseurs) a dit: « En effet, le serviteur commet un péché par lequel il entre au Paradis ; et un autre fait une bonne action par laquelle il entre en Enfer. »
Il lui à été demandé: « Comment cela? » Il a alors répondu: « Celui qui a commis le péché pense constamment à cela : cela lui cause crainte et regret. Il en pleure et se sent honteux face à son Seigneur le Très-Haut.
Il se tient en présence d’Allah, le cœur brisé et la tête abaissée en signe d’humilité.
Ainsi, ce péché lui est plus salutaire que de faire des actes d’obéissance, puisqu’il lui permet d’acquérir humilité et soumission – clé du bonheur et du succès pour le serviteur – dans la mesure où ce péché devient la cause de son entrée au Paradis.
Quant à celui qui fait le bien, il ne considère donc pas ce bien comme une faveur de son Seigneur sur lui. Il en devient plutôt arrogant et admiratif de sa personne, se disant :
«J’ai réalisé ceci et cela, et fait telle et telle chose.» Il en devient narcissique, fier, et arrogant, ce qui engendre sa propre destruction.» Fin de citation.
Allah (Glorifié et Exalté soit-Il) nous rappelle dans le Coran de ne jamais perdre espoir.
Il dit : «Dis: Ô Mes serviteurs qui avez commis des excès à votre propre détriment, ne désespérez pas de la miséricorde d’Allah. Car Allah pardonne tous les péchés. Oui, c’est Lui le Pardonneur, le Très Miséricordieux» (S.39;V.53).
Mais comment pouvons-nous remplir nos cœurs de la vraie richesse ? Comment pouvons-nous échapper au bombardement constant nous ordonnant d’adorer d’autres choses? Nous ordonnant de prendre des idoles du cœur et de les aimer comme nous ne devrions aimer que Dieu ?
Comment pouvons-nous échapper à la vraie pauvreté qui permet la présence d’un concurrent dans nos cœurs ?
Comment pouvons-nous échapper à la pauvreté qui nous asservit à une autre divinité, dont Allah parle dans le Coran lorsqu’Il dit : «Parmi les hommes, il en est qui prennent, en dehors d’Allah, des égaux à Lui en les aimant comme on aime Allah. Or les croyants sont les plus ardents en l’amour d’Allah.
Pour échapper à la vraie pauvreté, nous devons être débordants dans notre amour pour Allah. Votre amour le plus fort doit être réservé à Dieu. Mais vous ne pouvez pas aimer quelqu’un que vous ne connaissez pas. Vous avez besoin de le connaître. Vous ne connaissez pas quelqu’un avec qui vous n’avez jamais parlé. Alors parlez-lui, demandez après lui. Et vous ne pouvez pas aimer quelqu’un dont vous ne vous souvenez pas. Alors souvenez-vous de Lui. Souvenez-vous souvent de Lui.
Ceci est donc un appel à tous ceux qui se sont retrouvés ensevelis par la tyrannie de leur propre personne, emprisonnés dans le donjon de leur âme et de leurs désirs. C’est un appel à tous ceux qui sont entrés dans l’océan de la vie d’ici-bas, qui ont sombré dans ses profondeurs, et ont été piégés par ses vagues dévastatrices.
Remonte à la surface. Remonte à l’air libre, remonte vers le monde réel, échappe-toi de la prison de l’océan. Remonte vers ta liberté. Remonte et reviens à la vie. Quitte cet état où ton âme se meurt. Ton cœur peut toujours vivre et être plus fort et plus pur qu’il ne l’a jamais été. Souviens-toi que le cœur une fois poli, devient plus beau qu’il ne l’était.
Ôte ce voile que tes péchés ont tissé, qui se tient entre toi et la vie, entre toi et la liberté, entre toi et la lumière, entre toi et Dieu.
Ôte ce voile et élève-toi, reviens à toi avant qu’il ne soit trop tard. Car beaucoup d’entre nous pensent que nous pouvons vivre nos vies comme bon nous semble et quand vient la mort, dire tout simplement
: « Il n’y de Dieu qu’Allah ».
Mais au moment de la mort, la langue ne pourra émettre que ce que le cœur permet. Tout ce que renferme le cœur sortira. Et ce jour, le cœur appauvri n’aura rien d’autre à évoquer excepté l’amour de cette vie.
Si nos cœurs sont vides de Dieu durant notre vie, comment peuvent-ils être comblés de Dieu à notre mort ?
Si nos cœurs sont comblés par l’amour de cette vie, l’amour du prestige, l’amour de la richesse, l’amour de la création plus que du Créateur, alors c’est cela qui parlera au moment de notre mort.
Si le cœur est plein de rancune, de jalousie et de haine, c’est cela qui parlera.
Mais s’il a été comblé par l’amour de Dieu, cela se verra.
Si durant votre vie, votre cœur vivait avec « Il n’y a de Dieu qu’Allah », avec le fait qu’il n’y a réellement de refuges, d’abris, qu’auprès de Lui, et qu’il n’y a d’autre dieu digne d’adoration en dehors de Lui, alors, c’est uniquement à ce moment là, que la langue aura la permission de dire : « Il n’y a de Dieu qu’Allah, et Muhammad est son dernier messager ».
Qu’Allah nous compte parmi ceux-là.
Pour conclure, j’implore Allah de nous pardonner. En vérité Allah est le Pardonneur et le Très Miséricordieux.
Que la paix, la Miséricorde, les Bénédictions de Dieu soient sur vous.»
Auteur : Yasmin Mogahed.